59.
Parandar
Dylan fut emporté dans un tourbillon formé de milliers de rayons éblouissants. La lumière était si intense qu’il ne pouvait même pas distinguer les gardiens qui s’étaient emparés de lui. En l’espace de quelques secondes, il se retrouva devant Parandar lui-même. Le chef de tous les dieux se tenait debout, l’air grave. Tout son corps était parcouru d’éclairs dorés.
— Je t’avais prévenu, Dylan, déclara-t-il froidement.
— Mais…, commença le gamin.
Un bâillon de voile blanc se plaqua sur sa bouche, l’empêchant d’expliquer la raison de sa brève visite à Enkidiev. Il voulut s’en défaire, mais ses geôliers lui saisirent les bras.
— Tous les Immortels ont une part de sang humain, poursuivit la divinité courroucée. Pourtant, aucun d’eux ne m’a défié ainsi. Je ne peux pas garder à mon service un enfant de lumière qui s’amuse à me désobéir.
Dylan tenta de crier à l’injustice, mais le bâillon ne laissa échapper aucun son. Mère ! appela-t-il avec son esprit. Il savait que son appel ne pourrait pas être entendu par les mortels, mais Fan était un maître magicien. Elle capterait sa détresse peu importe où on l’avait dépêchée. Parandar fit un pas vers lui. Le gamin ouvrit des yeux terrifiés.
— Elle ne viendra pas, Dylan, lui dit le dieu.
Un autel de cristal transparent apparut entre le petit Immortel et Parandar. Les gardiens voulurent soulever l’enfant pour l’y déposer. Comprenant qu’il s’agissait du lieu de son exécution, Dylan se débattit furieusement. Les doigts lumineux s’enfoncèrent davantage dans sa chair tendre. Père ! hurla-t-il intérieurement.
— Même s’il t’entendait, que pourrait-il faire ? répliqua Parandar.
L’enfant fut finalement maintenu sur la table de verre. Une épée transparente apparut dans la puissante main du chef des dieux. Il allait mettre fin à l’existence d’un Immortel et son visage n’exprimait pas le moindre chagrin.
— Tu ne sentiras rien, Dylan.
Wellan, Kira et Fan apparurent dans l’esprit du condamné. Pourquoi les dieux n’étaient-ils pas aussi conciliants qu’eux ?
— Avant de te renvoyer dans le grand vide d’où nous sommes tous issus, je veux bien t’accorder une dernière faveur, décida Parandar en lisant ses pensées.
Le bâillon se volatilisa.
— Laissez-moi renaître dans le corps d’un enfant humain et connaître l’amour de véritables parents, articula le petit, la gorge serrée.
— Il m’est difficile de comprendre qu’un être aussi parfait que toi puisse désirer une telle épreuve, mais si c’est ce que tu veux…
Le gamin garda le silence, mais des larmes se mirent à couler sur ses joues, étonnant le chef des dieux, puisque les Immortels ne pleuraient jamais. Dylan était décidément une anomalie de la nature. Empoignant l’épée à deux mains, Parandar récita de douces paroles que le petit garçon ne comprit pas. En transe, le dieu leva la lame magique en visant le cou dénudé de sa victime.
Dylan aurait pu fermer les yeux pour ne pas voir venir sa dernière heure, mais il choisit d’affronter bravement la mort. La lame fendit l’air en sifflant… pour se briser au-dessus de lui en une pluie d’étincelles rouge feu.
— Mais que signifie…, s’étonna Parandar.
— Je ne te laisserai pas mettre à mort l’Immortel qui me sert d’intermédiaire avec le monde des humains, s’emporta une voix de femme.
Malgré sa terreur, Dylan parvint à se tourner légèrement. Un grand soulagement l’envahit lorsqu’il vit s’approcher la déesse de Rubis dans ses voiles incandescents.
— Tu oses t’opposer à moi ? rugit le chef des dieux.
— Je t’empêche de commettre une bévue, Parandar.
Le grand dieu fit disparaître son arme, mais les éclairs qui parcouraient sa peau devinrent encore plus éclatants, signe évident de son déplaisir.
— Lorsque le Conseil des Anciens t’a accordé ton titre, il t’a précisé que seule ta sœur pourrait te rappeler à l’ordre lorsque tu abuserais de tes pouvoirs, poursuivit Theandras.
D’un geste de la main, elle fit s’évaporer les gardiens qui retenaient Dylan sur l’autel. Ce dernier sauta prestement sur le plancher de marbre et courut se réfugier dans ses bras enflammés.
— Depuis combien de temps utilises-tu Dylan sans m’en parler ? tonna Parandar.
— Il y a plusieurs années que j’épie les Immortels, cher frère. Parce qu’il n’est qu’un enfant et qu’il est profondément attaché à son père humain, Dylan peut circuler entre les deux mondes sans éveiller leurs soupçons.
Theandras caressa les cheveux transparents du gamin en fixant son frère avec défi.
— Tu n’as pas le droit de confier une telle mission à un Immortel, si petit soit-il, siffla Parandar entre ses dents. Si tu n’étais pas ma sœur…
— Au lieu de te mettre en colère, laisse-moi plutôt te dire ce que j’ai découvert jusqu’à présent.
Le silence de Parandar fit comprendre à la déesse qu’elle avait réussi à l’amadouer. Elle se pencha pour embrasser Dylan sur le front et lui chuchota qu’il pouvait retourner à sa chambre où elle le rejoindrait sous peu.
— Surtout, tiens ta langue, lui rappela-t-elle.
Dylan hocha vivement la tête, reconnaissant. Il s’élança vers les marches immaculées qui menaient au pays des Immortels. Sans s’arrêter une seule fois pour regarder derrière lui, il regagna sa cellule le plus vite qu’il put. Pour la première fois de sa vie, il s’y sentit en sécurité. En boule sur sa couche mœlleuse, il attendit sa protectrice, mais ce fut sa mère qui se manifesta à lui.
— Où étais-tu ? demanda-t-elle sur un ton sévère.
— Avec la déesse de Rubis, répondit l’enfant en se redressant.
— Sauska te cherchait et comme elle n’arrivait pas à te trouver, nous avons imaginé le pire.
— Le pire ? fit innocemment Dylan en la fixant de ses yeux humains.
— Je te l’ai déjà expliqué, mais tu t’entêtes à ignorer mes avertissements. Il y a des sorciers sur Enkidiev qui ont le pouvoir de détruire les Immortels et nous avons cru que…
— Vous vous souciez vraiment de ce qui m’arrive ? s’égaya le petit.
— La prochaine fois que tu iras te balader au pays des dieux, je veux que tu me préviennes.
Craignant d’ouvrir davantage son cœur à cet enfant aussi impossible que son père, Fan se dématérialisa prestement.